Les Sukuk souverains, un nouvel outil de diversification des sources de financement des infrastructures
ALGER – Les Sukuk souverains introduits dans la Loi de finance 2025, signée dimanche dernier par le président de la République, M. Abdelmadjid Tebboune, sont un nouvel outil permettant de diversifier les sources de financement des projets d’infrastructures et de réduire la pression sur le Trésor public.
Dans des déclarations à l’APS, des intervenants dans le domaine estiment que la nouvelle loi de finances, qui autorise le Trésor public à émettre des Sukuk souverains dans la Bourse d’Alger, permettra, entre autres, de moins recourir aux moyens de financement traditionnels, et d’attirer de nouveaux investissements, à travers le renforcement de l’inclusion financière et en s’appuyant sur les outils de la finance islamique.
Les « Sukuk souverains » sont des instruments financiers islamiques, qui reposent sur la copropriété des investisseurs sur les bénéfices des actifs ou des projets, au lieu de prêter de l’argent avec intérêt, comme c’est le cas avec les obligations conventionnelles.
Dans ce contexte, le directeur général de la société de gestion de la Bourse des valeurs (SGBV), Yazid Benmouhoub, a mis en avant l’importance des Sukuk en tant que nouveau produit financier, qui constituera un outil supplémentaire de financement des investissements publics, permettant d’augmenter la valeur et le volume des échanges au niveau du marché des valeurs mobilières.
Evoquant les mesures pratiques prises en prévision du lancement du marché des Sukuk souverains au niveau de la Bourse d’Alger, M. Benmouhoub a indiqué que le nouveau règlement général de la Bourse, approuvé par la Commission d’organisation et de surveillance des opérations de Bourse (COSOB), offre la possibilité de créer ce marché, au côté du marché des obligations conventionnelles actuelles (obligations assimilables du trésor
OAT et obligations d’entreprises), ajoutant que cela est aussi lié à « l’amendement du Code du commerce où les Sukuk sont clairement évoqués, de manière à permettre aux banques islamiques, aux institutions financières et aux compagnies d’assurance Takaful, de tirer parti de ce nouvel instrument, en investissant leurs épargnes ».
Il a également indiqué que la Bourse d’Alger était prête à lancer ce marché, dès l’approbation de l’amendement du Code de commerce, qui permettra également de mettre en place un marché de Sukuk destiné au financement des entreprises.
Pour sa part, le président de la commission de la finance islamique au sein de l’Association des banques et des établissements financiers (ABEF), Sofiane Mazari, a estimé que l’autorisation d’émettre des Sukuk souverains dans le cadre de la loi de finances pour l’année 2025 « représente une étape cruciale pour soutenir les grands projets nationaux à travers des mécanismes innovants », soulignant que cela s’inscrit en droite ligne avec « la dynamique visant à renforcer le financement islamique en Algérie et à élargir la base des investisseurs ».
Selon M. Mazari, cette autorisation, qui témoigne de « l’engagement des pouvoirs publics pour la concrétisation des réformes financières, de la transparence et de l’efficacité économique », permettra de mobiliser des financements conséquents pour des projets d’infrastructures essentiels, tels que les routes, les hôpitaux et les écoles, contribuant ainsi au développement économique et à la création d’emplois.
Outre leur contribution à assurer la liquidité et à alléger la pression sur le Trésor public, les Sukuk souverains renforceront l’industrie bancaire islamique, un marché porteur en Algérie.
M. Mazari a rappelé que la taille de ce marché est estimée à plus de 800 milliards de dinars, avec un taux de croissance de plus de 24% en 2023 par rapport à 2022.
Pour sa part, le membre du HCI et expert en finance islamique, M. Mohamed Boudjellal, a souligné que l’importance de l’émission de ces Sukuk réside dans leur rôle en tant « qu’instrument de financement pour les projets d’infrastructures à caractère commercial de l’Etat, tels que la construction des aéroports, des ports, des autoroutes et d’autres projets générateurs de revenus ».
Cela s’inscrit dans le cadre « de la démarche de l’Etat pour promouvoir la finance islamique et atteindre l’inclusion financière en mobilisant davantage d’épargnes, dans le souci de parachever l’édifice institutionnel de l’industrie financière islamique et renforcer la structure de l’économie nationale, sans recourir à l’endettement extérieur que l’Algérie rejette pour préserver sa souveraineté économique », a-t-il ajouté.
En pratique, cette démarche « ne diffère pas beaucoup de l’émission d’obligations souveraines conventionnelles, si ce n’est que les détenteurs de Sukuk bénéficient de droits d’usage sur les actifs titrisés », en d’autres termes « les Sukuk sont étroitement liés à la nature de ces actifs et aux revenus périodiques qu’ils génèrent », a expliqué M. Boudjellal.
Les Sukuk souverains sont un instrument de financement « moins coûteux pour l’Etat ». Dans le cas des obligations conventionnelles, l’Etat s’engage, via le Trésor public, à verser des intérêts aux détenteurs d’obligations indépendamment des revenus générés par le projet pour lequel ces obligations ont été émises.
Dans le cas des Sukuk, le rendement perçu par les détenteurs dépend de la rentabilité du projet titrisé. Si le projet est retardé pour des raisons de force majeure comme ce fut le cas lors de la pandémie de Covid-19, le Trésor public n’est pas tenu de distribuer les rendements contrairement aux obligations conventionnelles.
Certains Etats occidentaux ont adopté le mécanisme des Sukuk comme alternative aux obligations conventionnelles, mais uniquement dans des cas restreints, a-t-il ajouté.
Concernant l’encadrement de l’émission des Sukuk en tant que nouvel instrument financier en Algérie, M. Boudjellal a fait savoir que le ministère des Finances a récemment lancé un appel d’offres international pour sélectionner un bureau de consulting spécialisé dans l’accompagnement du gouvernement et la mise en place d’un cadre législatif et réglementaire pour l’émission des Sukuk souverains.
La Banque islamique de développement assure le financement de ce projet qui s’étalera jusqu’à l’émission du premier titre en Algérie, précise l’expert.
Le texte de loi de finances 2025, adopté par les deux chambres du Parlement, autorise le Trésor public à émettre des Sukuk souverains, permettant aux personnes physiques et morales de participer au financement des infrastructures et/ou des équipements publics marchands de l’état, avec exonération, pendant cinq ans, de l’impôt sur le revenu global (IRG) et de l’impôt sur les bénéfices des sociétés (IBS), pour les produits des Sukuk émis par le Trésor ou négociés dans un marché organisé, outre une exonération des droits d’enregistrement et de publicité foncière pour la même durée.
Le ministre des Finances, Laaziz Faid, avait affirmé lors du débat du PLF à l’Assemblée populaire nationale, que les Sukuk souverains constituaient un nouveau moyen de diversification des sources de financement pour les investissements publics, et contribuaient à « capter les fonds thésaurisés et à attirer un plus large éventail d’investisseurs, y compris ceux du marché des obligations du Trésor, en vue de financer des projets structurels et d’infrastructures, sans recourir à l’accroissement de la dette conventionnelle ou encore à la modification de l’assiette fiscale ».
Il s’agit, a-t-il ajouté, d’un pas important « dans la stratégie tracée, visant à ne pas dépendre des recettes fiscales et des emprunts dans le financement des projets d’investissement et de développement, et à ouvrir la voie aux différents types d’investisseurs pour participer au financement des projets publics, conformément aux principes de la charia islamique ». Il a souligné, par ailleurs, que ses services « veillent à asseoir les fondements et les principes conformes à la charia islamique pour les Sukuk souverains, afin d’en faire un instrument pour un investissement sûr et garanti, permettant de réaliser de bons bénéfices notamment avec l’exonération fiscale qui est une mesure incitative pour générer des capitaux ».
L’émission de ces Sukuk « renforcera la confiance des investisseurs, à travers la transparence dans le financement et la réalisation des projets à partir des revenus des Sukuk, en garantissant l’engagement de financer des réalisations sûres qui cadrent les dispositions de la charia islamique, ce qui permettra d’intégrer les banques islamiques au marché de la dette publique et d’attirer les investisseurs », selon les déclarations du ministre.