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Batna: le centre de torture de Thlath, à Theniet El Abed, ou la signature du « boucher » Cazenove

BATNA – Les moudjahidine du village de Thlath, dans la commune de Theniet El Abed (Batna), n’ont pas oublié l’image hideuse des mains pleines de sang algérien du capitaine Cazenove surnommé « le boucher ».

« Comment pourrions-nous oublier ce monstre sanguinaire qui se délectait des hurlements de douleur des Algériens internés dans le centre de torture de Thlath durant la Révolution ? », s’interroge le Moudjahid Belkheir Zaghloul qui poursuit : « quiconque tombait entre les mains de ce criminel et de ses acolytes en uniforme subissait des sévices affreux, inhumains que j’ai du mal à décrire ».

Ce Moudjahid qui a rejoint les rangs de la Révolution en 1957, à l’âge de 18 ans, se souvient que le capitaine Cazenove semblait éprouver un plaisir « maléfique » à placer des prisonniers vivants, les mains et les jambes enchaînées, dans des sortes de boîtes en bois d’un mètre sur cinquante, et de cinquante centimètres de haut, qu’il fermait au moyen de clous ».

Les Algériens qui « ont eu le malheur d’être +traités+ par le capitaine Cazenove pour être +sarcophagés+ vivants et complètement nus, finissaient neuf fois sur dix par mourir de froid et de douleur », témoigne M. Zaghloul, révélant que les boîtes étaient ensuite « empilées les unes sur les autres avant d’être chargées, cinq jours plus tard, dans des camions d’où elles étaient précipitées dans le vide depuis les hauteurs de Theniet El Abed ou, quelquefois, enterrées dans des fosses communes ». Les prisonniers, ajoute le même témoin, étaient soumis à une autre forme de torture qui consistait à les plonger, nus et enchaînés, dans un bassin rempli d’eau froide, dans la cour du centre. Un supplice que le tortionnaire en chef privilégiait lorsque les températures étaient glaciales, comme c’est souvent le cas dans cette région où le thermomètre descend souvent à moins zéro en hiver.

M. Zaghloul ajoute, en frissonnant à l’évocation de ce châtiment inhumain, que « les camarades étaient transformés, en une seule nuit, en statues de glace et périssaient d’hypothermie ».

 

Des clous dans les mains, les pieds et les parties sensibles du corps

 

Les survivants, « extrêmement rares », souligne le témoin, sont conduits, toujours entravés par des chaînes, dans leurs cellules et commence alors une autre série de tortures, mais cette fois-ci avec la « gégène » et les coups de bâton pendant de longues heures. Pour couronner le tout, le supplicié se voit enfoncer, par un marteau, des clous dans la paume des mains, sur les pieds et sur des parties sensibles du corps.

Liamine Derghal, fils d’un Martyr et frère de deux autres Chouhada, raconte le caractère « immonde » des tortures subies par l’un de ses frères, qui n’avait pas encore 22 ans. En plus des supplices qu’on lui a fait endurer, il a été conduit, à moitié mort, dans un autre centre, celui de Nouader, dans la commune voisine de Chir, où il fut passé par les armes.

Les témoignages recueillis auprès de nombreux habitants de la région, parmi lesquels des Moudjahidine dont la mémoire est demeurée vivace malgré l’âge, et des proches de Martyrs emprisonnés dans le centre, affirment que « beaucoup parmi ceux qui y sont entrés ont disparu et ne sont plus jamais réapparus ».

De son côté, le délégué de l’Organisation des Moudjahidine à Theniet El Abed, Abdeslam Beldia, affirme que le centre de Thlath était plus connu par les habitants de la région sous l’appellation de « centre Cazenove ». L’armée française y a torturé, tué et fait disparaître, sous les ordres du capitaine Cazenove, des centaines d’Algériens entre 1955 et 1962, ajoute le délégué des Moudjahidine. Il explique que les prisonniers, issus de toute la région d’Ouled Abdi, étaient conduits vers le centre de Thlath, mais aussi vers ceux de Chir et de Nouader, ces trois funestes endroits étant destinés à intimider la population et à la dissuader d’aider ou de rejoindre la Révolution.

Bien que certaines de ses parties se soient effondrées ou aient été dégradées, le centre de torture de Thlath conserve encore ses caractéristiques et est clairement discernable par le visiteur.

Le temps n’a pas eu, notamment, de prise sur le bâtiment de pierre, qui se composait de bureaux administratifs pourvus de hautes fenêtres et d’un carrelage coloré encore bien visible. Sur un côté de la cour, apparaît un escalier en bois que les soldats français utilisaient pour atteindre le chemin de ronde d’où ils pouvaient surveiller le camp et la route. Le bassin en pierre que l’on remplissait d’eau pour y plonger des prisonniers, est également là, bien visible, et continue, plusieurs décennies plus tard, à donner la chair de poule.

Lors d’une visite de ce lieu sinistre, l’APS a découvert que le bâtiment administratif que l’on atteignait après avoir gravi quelques marches de granit taillé, enjambe le réduit de 8 m2 situé en sous-sol et qui servait de pièce de torture. Il apparaît que l’administration coloniale s’était évertuée à construire le centre au moyen d’énormes pierres qui faisaient office de matériaux isolants de sorte que les hurlements des suppliciés soient étouffés. Des restes de fer rouillé subsistent encore et apparaissent en haut des murs encore debout.

Selon des témoignages recueillis sur place, les prisonniers y étaient suspendus par les poignets ou par les pieds et demeuraient ainsi jusqu’à ce que mort s’ensuive. « Il est clair, de mon point de vue, que les exactions commises par la France coloniale n’ont pas livré tous leurs secrets, et je suis sûr et certain que des endroits comme le centre de Thlath existent encore, du moins à l’état de ruines, et sont encore disséminés à travers toute l’Algérie », conclut le Moudjahid Belkheir Zaghloul, dans un soupir.

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