Société

La « Tchaâbina », une coutume solidement ancrée durant le mois Chaâbane à Jijel

JIJEL – La « Tchaâbina » qui tire son nom du mois de Chaâbane, est une coutume ancestrale que de nombreuses familles de Jijel n’abandonneraient pour rien au monde.

Selon des informations recueillies dans les milieux populaires de l’antique Igilgili, la « Tchaâbina » est un grand regroupement familial qui suit une invitation à diner (une « aâzouma » comme on dit ici) émise, dans la plupart des cas, par les mères de famille en direction de leurs filles mariées.

Le but est de susciter des réunions familiales, suivies d’un grand diner, généralement copieux mais toujours préparé selon les traditions, dont la véritable finalité n’est pas de faire ripaille, mais plutôt de se retrouver dans une ambiance familiale, de bavarder et de se remémorer des souvenirs d’enfance et d’adolescence.

Pour Mme Aziza, une salariée cinquantenaire, la « Tchaâbina » est une tradition « bénie », héritée de mère en fille, que « l’on organise un jour du mois de Chaâbane en invitant les filles mariées dans la maison familiale, là où elles ont grandi, pour des retrouvailles chaleureuses, parfois après une absence plus ou moins longue, et des babillages à n’en plus finir, généralement centrés sur les souvenirs d’enfance ».

Aziza ajoute que ces « assemblées », exclusivement féminines, tient-elle à préciser, sont « quelquefois encore plus sympathiques dans le cas où les voisines sont invitées ».

Cette dame considère, à ce propos, que l' »extension » de la réunion en dehors du seul cercle familial peut être, à certains égards, très « fructueuse » en cela qu’elle permet « d’aplanir certains différends de voisinage, ou de s’expliquer au sujet de malentendus antérieurs ».

L’invitation pour une « Tchaâbina » est « attendue, chaque année, avec impatience, non seulement pour le dîner, mais aussi pour la gaité empreinte de convivialité qu’elle provoque », selon Mme Aziza qui précise que ces retrouvailles « débutent souvent par le café de l’après-midi (Kahouat El aâsr) pour se poursuivre jusqu’aux agapes du soir et leur lot de mets préparés avec amour et avec le plus grand soin ».

Le repas de fête servi à cette occasion, le soir, est invariablement puisé du patrimoine culinaire hérité des aïeux. Le menu se compose, généralement, d’une « douida » en guise d’entrée.

La « douida » ou « dwida » est un plat typique de Jijel. A base de vermicelle (préparée, de préférence, à la maison) cuite à la vapeur puis mélangée à une sauce blanche, ce mets délicat est servi avec du poulet et des pois-chiches avant d’être décoré d’œufs durs.

La « douida » laisse ensuite la place au « roi » incontesté des plats algériens », le couscous en l’occurrence. Pour cette occasion spéciale, il s’agit de « couscous bel osbane », ce terme désignant une préparation à base de panse de mouton farcie avec des abats de mouton finement découpés. Cependant, la « Tchaâbina » va bien au-delà des plaisirs de la table.

Mme Samia, la soixantaine, femme au foyer et mère d’une famille nombreuse, explique que la « Tchaâbina » est une tradition qui vaut avant tout par son côté « rassembleur » recélant de nombreuses significations liées à la solidarité, à la tolérance et à la synergie entre les familles et les proches.

Le visage tout parcheminé mais toujours « bon pied bon œil »,  Samia tient à citer ce dicton que l’on entend souvent à Jijel durant le mois précédant le mois sacré de Ramadhan: « Fi Chaâbane, elli aândou hbib ibane », ce qui signifie, littéralement, « au mois de Chaâbane, quiconque a un être cher le verra apparaître ».

 

De la maison familiale, la « Tchaâbina » se déplace vers les restaurants, voire les plages

 

Une tendance observée depuis peu, mais de plus en plus répandue, fait que la « Tchaâbina » n’est plus la chasse gardée des demeures familiales. Elle s’est déplacée, assure-t-on à Jijel, vers les restaurants.

Désireux de séduire une nouvelle clientèle, de nombreux restaurateurs y voient, en effet, une façon d’améliorer leur chiffre d’affaires. L’un d’eux affirme même que cela peut impulser le tourisme en attirant des visiteurs souhaitant « faire connaissance » avec cette coutume ancienne, purement jijelienne.

Autre preuve que la « Tchaâbina » n’est plus l’apanage des seules espaces familiaux, de nombreux jeunes de la ville s’invitent sur les plages pour une soirée festive, conviviale, agrémentée d’un dîner sous la belle étoile préparé, évidemment, à la maison par la maman d’un des commensaux en présence.

S’ensuivent, sur le sable, d’interminables débats passionnés où tout est passé en revue: le programme culturel du Ramadhan, « En-Nemra » (surnom de la JSD Jijel, club phare de la ville), l’équipe nationale de football, etc. Rencontré dans le centre de Jijel, Rabah, se présente comme le « précurseur » d’une « Tchaâbina » hors des murs de la maison familiale.

Il soutient avoir pris l’habitude, depuis quelques années, d’inviter, un jour du mois de Chaâbane, quelques amis à lui dans un des restaurants huppés de Jijel dont le chef est « orfèvre » en matière de préparation de plats traditionnels.

Rabah assure que « quelle que soit la qualité du dîner, ces soirées sont surtout des occasions de se retrouver entre amis, de tailler des bavettes, de se remémorer des souvenirs d’enfance, le tout dans une atmosphère simple et chaleureuse, en nous promettant de remettre cela l’année prochaine », histoire de perpétuer le noble héritage de la « Tchaâbina ».

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