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Guelma: « Kef el Boumba » à Héliopolis, témoin impassible des crimes ignobles des forces coloniales, le 8 mai 1945

GUELMA – A l’entrée sud de la commune d’Héliopolis (Guelma), surplombant l’oued Seybouse depuis le flanc de la colline de « Kef el Boumba », se dresse une stèle commémorative rappelant les crimes abjects de l’armée coloniale française lors des Massacres du 8 mai 1945.

Le monument, érigé il y a plusieurs années pour vaincre l’oubli, fait surtout ressurgir, à l’heure où l’Algérie commémore le 79ème anniversaire des Massacres perpétrés le 8 mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata, le souvenir douloureux des tueries collectives d’Algériens dont les cadavres ont été jetés dans des fosses communes, en plusieurs endroits de la région de Guelma.

Même si, aujourd’hui, il ne subsiste plus  de témoins ayant vécu ces événements sanglants, les déclarations écrites et les témoignages enregistrés sur des supports audiovisuels, recueillis par des historiens de la bouche de nombreuses personnes ayant vécu la barbarie coloniale, décédées depuis, de même que certains récits transmis oralement et conservés dans la mémoire collective de la région, ne laissent planer aucun doute sur l’horreur et le caractère inhumain des crimes commis par le colonialisme français au cours de l’été 1945.

Des centaines de témoignages décrivant, souvent dans les moindres détails, la répression brutale des forces d’occupation, renseignent, en effet, sur la barbarie et l’inhumanité qu’illustrent les exécutions de masse de milliers d’innocents dont les corps ont été jetés sans ménagement dans les « charniers de la honte » de « Kef el Boumba », puis brûlés pour ne laisser aucune trace du forfait.

Le directeur du musée du Moudjahid de Guelma, Yacine Chaâbane, également écrivain et chercheur en Histoire, a déclaré à l’APS que la colline visible à l’entrée de la commune d’Héliopolis, à environ 3 km au nord de la ville de Guelma, « était autrefois une zone forestière ».

M. Chaâbane précise que l’appellation de « Kef el Boumba » s’explique par le fait qu’une bombe y a été larguée par les avions alliés pendant la seconde guerre mondiale pour détruire un pont qui enjambait l’oued Seybouse, sur l’actuelle route nationale n 21 reliant Guelma à Annaba.

Il ajoute que tous les témoignages recueillis par le musée, dont celui du défunt Moudjahid Youcef Benmahjoub, confirment qu’il y a 79 ans, « la gendarmerie française, avec l’aide des milices formées par les colons, a commis l’un des crimes les plus monstrueux de l’histoire contemporaine en faisant venir dans la butte forestière de +Kef el Boumba+, depuis le siège de la gendarmerie, des casernes et des postes de police, des dizaines de prisonniers qui furent obligés de creuser de leurs mains des fosses dans lesquelles ils furent jetés après avoir été exécutés par balles ».

Pour sa part, le Pr Mohamed Chergui, enseignant d’Histoire à l’Université Badji-Mokhtar d’Annaba, indique que les nombreuses recherches qu’il a effectuées sur les Massacres du 8 mai 1945, « s’appuient sur de nombreux témoignages et des rapports sécuritaires et administratifs, rédigés par les services coloniaux de l’époque ».

Selon lui, il n’y a pas uniquement « Kef el Boumba » qui témoigne encore de l’atrocité des crimes coloniaux, car il existe de nombreux autres endroits de la région de Guelma qui ont été le théâtre de crimes « tout aussi monstrueux ».

 Il ajoute que « les cadavres de dizaines de victimes de ses crimes, restés sans sépulture, ont fini par se putréfier en raison de la chaleur de l’été, offrant une autre excuse à l’occupant pour creuser des fosses communes et les y jeter, ou alors pour les brûler dans les fours à chaux de la ferme Marcel Lavie de sinistre mémoire ».

De son côté, le Dr Ramdane Boureghda, du département d’Histoire et d’Archéologie de l’Université de Guelma, rappelle qu’au moment de ces événements, « Guelma, qui n’était qu’une petite sous-préfecture relevant du département de Constantine, comptait moins de 20.000 habitants dont 15.000 musulmans et 4.500 colons européens ».

Pour ce spécialiste, « c’est le sous-préfet André Achiary qui mit le feu aux poudres en faisant tirer sur des manifestants qui participaient à une marche pacifique, le 8 mai 1945, pour réclamer l’indépendance de l’Algérie ».

C’est alors que les choses prirent une « tournure sanglante », affirme M. Boureghda. Ce dernier souligne également qu’un rapport de sécurité datant du 27 juillet 1945 fait référence à la présence d’un charnier à l’angle de la route d’Héliopolis et du carrefour menant à la commune d’El Fedjoudj. Il y existe, assure-t-il, 4 fosses contenant, chacune, au moins 20 corps.

Selon lui, le rapport indique également que les corps de 500 musulmans assassinés ont été exhumés et transportés jusqu’aux fours à chaux de Marcel Lavie, transformés en fours crématoires, où ils furent brûlés.

 

Guelma compte 11 sites de massacres et 18.000 martyrs

 

Les documents détenus par la représentation de wilaya de la Fondation 8-mai 1945, fondée en 1995 spécifiquement pour lutter contre la culture de l’oubli, stipulent que la wilaya de Guelma compte 11 sites de massacres et plus de 18.000 martyrs tombés lors de ces événements sanglants. Chacun des sites inventoriés a sa propre histoire.

Il y a d’abord le petit pont de la commune de Belkheir où une famille entière a été froidement exécutée, dont un enfant de 12 ans et une mère enceinte de six mois.

Les Guelmis n’ont pas oublié, non plus, les berges de l’oued Seybouse dans la commune de Boumahra-Ahmed, où les français ont assassiné des dizaines de personnes avant de les jeter dans l’eau, ni l’ancienne caserne du centre de Guelma où subsistent encore les restes de la guillotine qui servit à l’exécution de plusieurs participants à la marche du 8 mai 1945.

Si d’autres lieux dans les communes de Khezara, d’Ain Larbi et d’Oued Cheham racontent aussi de douloureuses histoires d’assassinats, de tueries collectives et d’exactions de toutes sortes, les habitants de la région de Guelma gardent en mémoire deux faits particulièrement horribles, rapportés par des témoins.

Il s’agit d’abord du martyre subi par Fatima-Zohra Regui, qui appartient à l’une des familles qui ont payé un tribut particulièrement lourd pour leur liberté.

Cette femme avait été prise à partie par les milices qui l’ont violemment torturée et fait subir les pires sévices, avant de lui trancher les seins sous les yeux de ses propres frères, Hafid et Mohamed, pour la brûler ensuite dans les fours à chaux de Lavie.

L’histoire d’un Algérien dénommé Moumeni est non moins atroce puisque cet homme avait été battu avant d’être crucifié, les mains et les pieds cloués à un mur de la gendarmerie de Guelma, jusqu’à ce que mort s’ensuive.

Tous ces faits sont dûment consignés dans des documents que la Fondation du 8-Mai 1945 conserve jalousement dans ses bureaux de Guelma afin que nul n’oublie.

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